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La Flandre se laisse enfin séduire par l’enseignement en immersion

Par Liesbeth Martens, traduit par Ludovic Pierard
27 avril 2022 9 min. temps de lecture

C’est à Liège, en 1989, qu’a vu le jour la première «école en immersion» belge. Vingt-cinq ans plus tard, la Flandre a décidé de s’essayer à son tour à cette forme d’enseignement qu’elle propose sous sa dénomination internationale: CLIL (Content and Language Integrated Learning). Cet article présente la méthode et ses atouts, puis revient sur son évolution depuis 2014. Sans oublier une comparaison avec la Wallonie.

Le Content and Language Integrated Learning consiste à enseigner une matière scolaire dans une langue autre que celle de l’école. Il ne s’agit donc pas de cours de langues en tant que tels, mais bien d’autres leçons dispensées dans un idiome étranger, le but étant que les classes intègrent à la fois le contenu du programme et la langue cible en question. Bien que la matière reste prioritaire, l’enseignant suit de près le processus d’apprentissage linguistique des élèves et les aide à progresser en les invitant notamment à pratiquer cette seconde langue.

Le terme immersion semble faire référence à une méthode assez radicale où les élèves seraient pour ainsi dire directement plongés dans le bain, c’est-à-dire où le professeur donnerait sa leçon dans une langue étrangère sans s’inquiéter de savoir si les élèves la maîtrisent suffisamment. Le CLIL, au contraire, s’attache à permettre aux élèves de prendre progressivement la température de l’eau, équipés de brassards et d’un gilet de sauvetage. Il ne s’agit toutefois que d’une interprétation superficielle sur la base des deux dénominations; en réalité, les deux formes d’enseignement impliquent une approche consciente et réfléchie visant au même objectif: rendre les élèves compétents dans une matière, mais aussi dans la langue utilisée pour l’enseigner. En Belgique francophone, cette formule est également appelée EMILE: l’enseignement d’une matière intégré à une langue étrangère.

Deux décennies et demie plus tard

Comme nous l’avons déjà dit, vingt-cinq ans se sont écoulés entre la naissance de l’immersion en Wallonie et la création des premières classes CLIL en Flandre. Constatant les bons résultats obtenus par les programmes d’immersion anglais-français lancés au Canada dans les années 1960, le lycée Léonie de Waha, à Liège, décide d’ouvrir en 1989 une section bilingue français-anglais. L’objectif était alors d’améliorer les compétences linguistiques par rapport à l’enseignement traditionnel des langues étrangères.

En 1995, la Commission européenne a déclaré avoir pour ambition que chaque citoyen maîtrise au moins deux idiomes de l’Union européenne en plus de sa langue maternelle. La Région wallonne a alors édicté en 1998 (soit près de dix ans après l’initiative du lycée Léonie de Waha) un décret permettant aux écoles d’organiser un enseignement multilingue, qui sera revu et précisé en 2007.

En Belgique francophone, environ 210 écoles primaires et 130 écoles secondaires proposent aujourd’hui un cursus en immersion. Du côté néerlandophone, où l’enseignement dans une langue autre que le néerlandais est un sujet politiquement sensible, il a fallu attendre 2008 pour voir émerger un premier «projet pilote» lancé dans neuf écoles secondaires. Pendant trois années scolaires, ces dernières ont fait l’objet d’analyses scientifiques. Finalement, en 2014, la Flandre a mis en place un cadre légal pour l’enseignement CLIL, prévoyant cependant plusieurs restrictions: seules les écoles secondaires peuvent proposer un programme CLIL, les cours en langue étrangère ne peuvent représenter plus de 20 % du cursus (soit environ 5 heures de cours par semaine), les enseignants doivent être certifiés C1 dans la langue cible (un niveau plutôt élevé), sauf si elle fait partie de leurs attributions professorales ou s’ils ont suivi leur formation dans la langue en question, et il leur est en outre demandé de se spécialiser en didactique CLIL. Les élèves doivent toujours avoir le choix de suivre les cours concernés en langue étrangère ou en néerlandais.

Pour pouvoir proposer un programme CLIL, les écoles sont tenues de soumettre aux pouvoirs publics un dossier prouvant qu’elles offrent suffisamment de garanties en termes de qualité d’enseignement multilingue. Pour l’instant, près de 140 écoles secondaires répondent aux exigences fixées.

Immersion versus CLIL

L’une des différences les plus évidentes entre l’immersion organisée en Wallonie et l’enseignement CLIL flamand est que la Belgique francophone a choisi de déployer son programme non seulement dans l’enseignement secondaire, mais aussi à l’école primaire et même dès la troisième maternelle. De plus, les élèves wallons suivent davantage de leçons en langue étrangère que leurs pairs flamands, surtout dans l’enseignement primaire, où certains cursus sont composés à 75% de cours en langue cible. L’écart entre les écoles francophones et néerlandophones se réduit toutefois lorsque les élèves arrivent dans l’enseignement secondaire. La réglementation wallonne prévoit un nombre minimal
d’heures d’immersion dans l’enseignement secondaire, à savoir huit, y compris les cours de langue étrangère. Ce qui correspond plus ou moins au maximum
de 20% (soit cinq périodes, cours de langue étrangère non compris) en Flandre.

Un élève néerlandophone: «Le CLIL, c’est vraiment sympa. Je n’aime pas trop l’histoire, donc pour moi c’est plus agréable de la suivre en français. Je trouve ça génial.»

Le décret flamand et le décret wallon s’intéressent tous deux au professeur et à ses compétences. Alors que le professeur CLIL doit faire montre du niveau (élevé) C1 dans la langue cible, l’enseignant en immersion est «préférentiellement (…) une personne dont la langue maternelle est la langue de l’immersion ou, à défaut, (…) une personne parlant la langue comme le ferait un locuteur natif»1. La Wallonie joue donc la carte du native speaker. C’est pourquoi de nombreux enseignants flamands donnent cours dans des écoles en immersion wallonnes, alors que l’inverse est plus rare. En Flandre, la plupart des professeurs CLIL sont des néerlandophones présentant une excellente maîtrise de la langue cible.

Les idiomes prévus par la législation sont identiques dans les deux régions, à savoir le néerlandais ou le français, l’anglais et l’allemand. La seconde langue nationale est toutefois plus populaire en Wallonie qu’en Flandre: dans le primaire comme dans le secondaire, trois quarts des écoles en immersion wallonnes proposent le néerlandais, soit sensiblement plus que les 55% d’écoles CLIL flamandes intégrant le français. Les écoles wallonnes évoluent donc en marge de la mode de l’anglais comme seconde langue. En Flandre, cette tendance est en revanche bien présente: 82% des écoles CLIL offrent un apprentissage en anglais, contre seulement 40% des écoles en immersion de l’enseignement secondaire wallon et 30% pour celles du primaire. La prépondérance de l’anglais dans les écoles CLIL flamandes s’explique en partie par le fait que la plupart des professeurs qui enseignent une matière dans les classes supérieures n’ont pas étudié de langue étrangère, contrairement à leurs collègues de l’inférieur, qui ont pu combiner une matière et une langue durant leur formation de bachelor (p. ex. biologie et français). Les enseignants qui ne sont pas professeurs de langues se sentent généralement plus à l’aise en anglais qu’en français. Certains d’entre eux ont en outre suivi de nombreux cours en anglais à l’université, où l’internationalisation encourage de plus en plus l’usage de cet idiome.

En Flandre, 42% des écoles CLIL sont inscrites auprès du Département flamand de l’éducation avec plus d’une langue CLIL. Dans certaines écoles, les élèves peuvent suivre des cours dans plus d’une langue cible, parfois même au cours d’une même année scolaire. En Wallonie, une seule école primaire propose deux langues en immersion (le néerlandais et l’anglais), et à peine une école secondaire sur dix propose plusieurs langues cibles, mais dans des cursus distincts.

Quelques avantages

En 2019, l’Université catholique de Louvain-la-Neuve et l’université de Namur ont présenté les résultats d’une vaste étude sur les effets linguistiques, cognitifs et socio-affectifs de l’enseignement en immersion en Belgique francophone2. D’après leurs recherches, l’immersion n’a aucun impact négatif ou a même un impact légèrement positif sur la maîtrise du français, et améliore le vocabulaire, la construction de phrases et les compétences écrites des élèves dans la langue cible. Ces derniers rédigent ainsi des textes plus complexes, avec des phrases plus longues et une plus grande richesse lexicale. Ils trouvent par ailleurs la langue cible plus attrayante et plus facile à apprendre que leurs pairs hors immersion, et ils ont davantage confiance en leurs capacités linguistiques (sentiment d’efficacité personnelle). Leurs émotions envers la langue cible, les utilisateurs de cette langue et leur culture sont en outre sensiblement plus positives.

Un enseignant CLIL néerlandophone: «Les langues sont un véritable atout pour les élèves qui envisagent des études supérieures ou veulent augmenter leurs chances sur le marché du travail.»

Une première étude longitudinale des effets de l’enseignement CLIL vient d’être menée en Flandre. Dans un rapport publié en janvier 2020, la haute école UCLL (University Colleges Leuven-Limburg)3 a présenté une comparaison des données d’élèves CLIL et non CLIL pour la période 2015-2017. Les résultats montrent que la méthode CLIL a un effet positif sur la compréhension et l’expression orales dans la langue cible (ici, le français) et sur la motivation scolaire en général. En ce qui concerne le bien-être à l’école, l’envie d’apprendre la langue cible et l’apprentissage de la matière (CLIL) concernée, les chercheurs n’ont constaté aucune différence significative entre les élèves CLIL et ceux de l’enseignement classique. Idem pour leur compréhension écrite en néerlandais et leur motivation pour le néerlandais en tant que langue de l’enseignement. Par ailleurs, les professeurs considèrent les programmes CLIL comme un défi stimulant, une manière d’épicer leur carrière.

Les résultats de ces études confirment ce qu’avaient déjà avancé diverses recherches internationales, à savoir que la méthode CLIL a un impact positif sur les compétences linguistiques et cognitives des élèves et offre de nombreux avantages socio-affectifs sans affecter la maîtrise de la langue d’enseignement de leur établissement.

Le parcours de la Flandre

Depuis l’introduction du CLIL dans l’enseignement flamand, en septembre 2014, le nombre d’écoles CLIL n’a cessé d’augmenter, avec en moyenne 20 nouveaux établissements CLIL par an. De plus en plus de professeurs se spécialisent dans ce type d’enseignement et s’inscrivent à une forme de professionnalisation axée sur le CLIL. C’est ainsi que les journées d’études, les webinaires, les post-graduats et les communautés professionnelles d’apprentissage créent une dynamique innovante au sein du corps enseignant et des organes de direction. En 2018, la haute école UCLL de Louvain a lancé une formation spécialisée post-bachelor en enseignement multilingue, avec une option CLIL.

Le principal obstacle à cette méthode est en réalité le manque de moyens déployés pour soutenir les enseignants

Il est clair que le CLIL révolutionne véritablement le monde de l’enseignement. Son grand point fort est que les enseignants gèrent la facette linguistique de l’apprentissage de manière particulièrement réfléchie. Ils sont conscients du fait que les élèves ne comprennent pas tout ce qu’ils entendent ou lisent au cours d’une leçon, et qu’ils ne sont pas non plus en mesure de s’exprimer parfaitement dans la langue cible au sujet de la matière concernée. Ce souci et cette prise en charge de la langue d’apprentissage ont un effet positif sur la qualité de l’enseignement. De nombreux professeurs estiment que l’expérience acquise dans des classes CLIL a également fait évoluer leur façon de donner cours dans la langue véhiculaire de l’école. Le principal obstacle à cette méthode est en réalité le manque de moyens déployés pour soutenir les enseignants. Livrés à eux-mêmes, ces derniers sont soumis à une charge de travail considérable, surtout au début de leur parcours CLIL.

L’avenir du CLIL

En Belgique néerlandophone, l’enseignement CLIL a parcouru pas mal de chemin en très peu de temps. Cette croissance soutenue laisse espérer que les effets positifs de cette méthode sur les élèves comme sur le plan didactique se poursuivront et que les nouveaux professeurs CLIL continueront à trouver le courage de se spécialiser et d’investir dans leur enseignement. Les défis pour l’avenir sont la généralisation de la méthode (notamment dans l’enseignement technique et professionnel, où ce système est actuellement fort peu présent), l’obtention d’un soutien structurel et financier renforcé de la part des pouvoirs publics, la mise en place d’une étroite collaboration entre les enseignants CLIL et les professeurs de langues étrangères et, pourquoi pas, l’introduction de cette formule bénéfique dans l’enseignement primaire.

Notes
1. Fédération Wallonie-Bruxelles, Circulaire 4112 du 24/08/2012.

2. Voir notamment L. Van Mensel & Ph. Hiligsmann,  Assessing CLIL: A Multidisciplinary Approach», dans International Journal of Bilingual Education and Bilingualism.

3. B. Bulté, L. Martens et J. Surmont, CLIL in Vlaanderen: eindrapport praktijkgericht wetenschappelijk onderzoek (Le CLIL en Flandre: rapport d’étude scientifique appliquée), UCLL, Louvain, 2020. Les citations d’un élève néerlandophone et d’un enseignant CLIL néerlandophone sont tirées de cet ouvrage. Voir également https://www.ucll.be/nieuws/2020/01/14/resultaten-onderzoek-clil-vlaanderen

MARTENS Liesbeth

Liesbeth Martens

coordinatrice du bachelor de spécialisation en enseignement multilingue à l’UCLL (University Colleges Leuven-Limburg)

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